Transaction et recevabilité de l’action du salarié

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La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Elle trouve son fondement juridique à l’article 2044 du code civil.
 

En droit du travail, l’employeur et le salarié concluent en général une transaction à l’occasion de la rupture du contrat de travail, à condition que celui-ci soit définitivement rompu (Cass. Soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115).

Ils peuvent également conclure une transaction au cours de l’exécution du contrat de travail, pour des raisons diverses (rappel de salaire, heures supplémentaires, primes…), et ce afin de terminer ou de prévenir un litige (Cass. Soc., 10 mars 1998, no 95-43.094).
 

Dans ce cas, la question se pose de savoir si le salarié peut valablement agir en justice contre son employeur, pour des faits survenus au cours de l’exécution du contrat de travail, suite à la conclusion d’une transaction par laquelle il a renoncé aux droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail.  

La question est importante car, dans l’affirmative, en signant une telle transaction rédigée en des termes généraux, le salarié se priverait de son droit d’agir pour des faits survenus postérieurement à la conclusion de la transaction, et donc inconnus au moment de sa signature. Cette situation est d’autant plus délicate à mesure que le temps qui s’écoule entre la conclusion de la transaction et la rupture du contrat de travail est important.
 

Dans un arrêt du 16 octobre 2019 (n° 18-18.287), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la renonciation du salarié à ses droits nés ou à naître et à toute instance relative à l'exécution du contrat de travail ne rend pas irrecevable une demande portant sur des faits survenus pendant la période d'exécution du contrat de travail postérieure à la transaction et dont le fondement est né postérieurement à la transaction.
 

Le différend portait en l’espèce sur la classification indiciaire d’une salariée. Une transaction a été conclue sur le principe du classement à un nouveau coefficient, assorti d’un rappel de salaire. L’exécution du contrat de travail s’étant poursuivie, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment au paiement de diverses sommes au titre d’une discrimination salariale.
 

La cour d’appel a retenu que si l’objet originel du litige éteint par la transaction est distinct des demandes actuelles, la transaction a cependant un objet plus large que les simples revendications originelles de la salariée. La cour d’appel s’est fondée sur la position de la chambre sociale de la Cour de cassation selon laquelle les renonciations inscrites dans la transaction ne sont plus éludées en référence au seul litige originel (Cass. AP., 4 juillet 1997, no 93-43.375 ; Cass. Soc. 5 novembre 2014, no 13-18.984 ; Cass. Soc. 11 janvier 2017, 93-43.375).
 

Elle en a déduit ensuite, pour écarter la recevabilité de l’action judiciaire de la salariée, que les demandes de reconnaissance et d'indemnisation de la discrimination salariale, afférentes à l'exécution du contrat de travail, sont couvertes par les renonciations stipulées dans la transaction, qui doivent recevoir plein effet.
 

La Cour de cassation n’adopte pas la même position. Pour elle, l’action judiciaire est recevable dès lors que la demande portait sur des faits survenus pendant la période d’exécution du contrat de travail postérieurement à la transaction et dont le fondement est né après la conclusion de la transaction.
 

La possibilité de conclure une transaction au cours de l’exécution du contrat de travail est donc assortie d’une contrepartie consistant à ne pas rendre irrecevable toute action du salarié jusqu’à la fin du contrat de travail au seul fondement tiré du fait que la transaction ait été rédigée en des termes généraux, exclusifs de l’enclenchement d’un contentieux postérieur ayant un fondement différent de celui pour lequel on a transigé.  
 

Cette solution est appréciable pour le salarié lésé successivement sur différents pans du droit du travail car elle lui permet de contrer les effets d’une transaction rédigée en des termes généraux en ayant la possibilité d’agir en justice postérieurement à sa conclusion pour d’autres faits litigieux survenus au cours de l’exécution du contrat de travail et après la signature de la transaction.
 

Elle l’est moins pour l’employeur puisqu’il ne lui suffira plus de conclure un tel contrat pour se préserver d’un contentieux ultérieur. En ce sens, cette décision vient conforter l’idée selon laquelle la conclusion d’une transaction générale au cours de l’exécution du contrat de travail perd une partie de son intérêt et de son efficacité, tout en confortant le constat suivant lequel la transaction est majoritairement pratiquée à l’occasion de la rupture du contrat de travail.
 

Jérémy DUCLOS

Avocat 

Spécialiste en droit du travail
 

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