Dénonciation du harcèlement moral et nullité du licenciement

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Dans un arrêt rendu le 19 avril 2023 (n° 21-21.053), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur les interactions entre la dénonciation de faits constitutifs de harcèlement moral et le licenciement en résultant.

Une salariée engagée par une association qui accueille des adolescents en difficulté a été licenciée pour faute grave.

Soutenant avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l’obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail.

La cour d’appel a considéré que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n'est pas démontrée emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement

L’employeur a formé un pourvoi en cassation en soutenant tout d’abord que la lettre de licenciement ne reprochait pas à la salariée d'avoir dénoncé des faits de harcèlement moral.

Ensuite, l’employeur a invoqué le fait que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, le juge ne peut prononcer la nullité du licenciement qu'à la condition que le salarié ait qualifié les agissements visés de harcèlement moral.

La Cour de cassation était donc interrogée sur la question de savoir si le licenciement du salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral sans qualifier lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation est nul.

La réponse de la Cour de cassation se fait en plusieurs temps.

Tout d’abord, elle commence par rappeler qu’aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Ensuite, elle rappelle qu’aux termes de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

La Cour de cassation en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce, et que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits de harcèlement moral emporte à lui seul la nullité du licenciement (Cass. Soc., 7 février 2012, n° 10-18.035 ; Cass. Soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554).

La Cour de cassation a également jugé que le salarié ne pouvait bénéficier de la protection légale contre le licenciement tiré d'un grief de dénonciation de faits de harcèlement moral que s'il avait lui-même qualifié les faits d'agissements de harcèlement moral (Cass. Soc., 13 septembre 2017, n° 15-23.045).

Postérieurement, la Cour de cassation a énoncé que l'absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n'est pas exclusive de la mauvaise foi de l'intéressé, laquelle peut être alléguée par l'employeur devant le juge (Cass. Soc., 16 septembre 2020, n° 18-26.696).

Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et que le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul (Cass. Soc., 16 février 2022, n° 19-17.871).

Après le rappel de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a conclu dans un attendu de principe :

« Dès lors, au regard, d'une part de la faculté pour l'employeur d'invoquer devant le juge, sans qu'il soit tenu d'en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, d'autre part de la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l'exercice non abusif de sa liberté d'expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l'instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement, il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce ».

Elle a ainsi rejeté le pourvoi en cassation en estimant que la salariée avait adressé aux membres du conseil d’administration de l’association une lettre pour dénoncer le comportement du directeur du foyer en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral.

Il faut donc retenir que la seule circonstance que le salarié ne qualifie pas expressément les agissements reprochés de harcèlement moral dans sa dénonciation n’est pas suffisante à exclure la protection conférée en cas de licenciement sur ce motif, qui se traduit par la nullité du licenciement, sauf en cas de mauvaise foi du salarié, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce.

Jérémy DUCLOS
Avocat au barreau de Versailles
Spécialiste en droit du travail


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